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L´Ã‰COLE ESPAGNOLE DE VIENNE DANS LA TOURMENTE
Au son d´une valse légère de Strauss, les six lipizzans pénètrent sagement dans le manège de la Hofburg, antre de l´Ã©cole d´Ã©quitation espagnole de Vienne. Les jambes sont lourdes, la reprise difficile, en ce matin de janvier. Hommes et chevaux ont eu droit à des vacances prolongées, après un programme très chargé lors des festivités de fin d´année.

Membres bandés, les étalons nerveux tressautent, se frôlent, simulent des ruades sous les encouragements prodigués affectueusement par les cavaliers affublés d´un «Zweispitz» (bicorne), main tendue sur la bride. Quelques saccades encore, et les lipizzans à robe grise finement mouchetée se calment, tandis que sous les lustres de cristal résonne désormais une joyeuse Mödlinger Tanze de Beethoven.

Et la magie se fait. Du désordre apparent émerge un singulier ballet, le talent des dresseurs et la noblesse des chevaux, qui s´Ã©chinent à répéter leurs gammes avec application. Au programme pour tous: trot simple, allongé et «pas de deux» (en français dans le texte) - ces petits pas chassés réalisés avec une grâce exquise et une lenteur presque surréaliste, témoignant du lien fusionnel entre l´homme et sa monture. Après deux heures de «Morgenarbeit» (entraînement matinal), les lipizzans exténués, naseaux humides et crinière frémissante, viennent s´aligner face aux visiteurs, au son de la célèbre marche de Radetzky. Avec ce premier entraînement hivernal, la saison est lancée. Il n´y a pas de temps à perdre: le 24 février, dans moins d´un mois, reprennent les représentations de gala.

La routine semble avoir repris ses droits à la Spanische Hofreitschule (SRS), pan de l´identité nationale autrichienne au même titre que le château de Schönbrunn, la cathédrale Saint-Etienne ou encore les «Sängerknaben», les petits chanteurs de Vienne en tenue de matelot. En coulisses, pourtant, une révolution est en marche. L´Ã©cole espagnole de Vienne a décidé de faire peau neuve. C´est une femme, Elisabeth Gürtler qui a repris les rênes depuis le 1er décembre 2007. Nommée directrice générale il y a deux mois à peine, Frau Gürtler continue à 57 ans de partager sa vie entre la célébrissime maison Sacher, les prestigieux hôtels éponymes de Vienne et Salzbourg qu´elle dirige d´une poigne de fer, et sa vieille passion pour les chevaux. L´Ã©légante quinquagénaire, qui fit partie de l´Ã©quipe nationale d´Ã©quitation de 1979 à 1981, se réjouit de ce «retour aux sources» et confie, l´Å“il pétillant, avoir «longtemps» refusé de reprendre l´Ã©cole, malgré les sollicitations pressantes. «Deux mois!» s´esclaffe-t-elle.

Derrière les honneurs, la flamboyante capitaine d´entreprise, connue également pour avoir organisé huit fois de suite le célèbre Bal de l´Opéra de Vienne, devine le cadeau empoisonné. «Nos comptes sont dans le rouge», concède-t-elle du bout des lèvres. C´est en fait une véritable faillite qui menaçait la vénérable maison, avec 18,4 millions d´euros de pertes entre 2001 et 2006, et 2 millions d´euros pour la seule année 2007. Malgré les 250000 visiteurs annuels, l´Ã©cole de la Hofburg vivait ces dernières années très largement au-dessus de ses moyens.

Sans ciller, Elisabeth Gürtler pointe du doigt les responsables: le salaire des 17 cavaliers de l´Ã©cole. Ces dresseurs hors norme, auréolés d´un immense prestige international, gagnent très confortablement leur vie. 40000 euros par an, officiellement. D´après un rapport de la Cour des comptes autrichienne paru mardi, bien plus en réalité: entre 2001 et 2006, un «maître écuyer» (Oberbereiter) gagnait en moyenne 173000 euros par an, contre 70000 à 121000 pour un simple «écuyer» (Bereiter), grâce aux primes glanées au titre des tournées à l´Ã©tranger.

Flanquée de son adjoint Erwin Klissenbauer, en charge des finances, la nouvelle directrice fait les comptes: les salaires comptent pour 80% des dépenses de l´Ã©cole. Tant de gabegie, pour Frau Gürtler, ne peut plus durer. «C´est toute la grille de salaires qu´il faut revoir, et ce sera très délicat, assure-t-elle. Il va falloir y aller très prudemment.» Parmi ces 17 cavaliers, cinq jouiraient en effet d´un statut de fonctionnaire, héritage des vieilles traditions de la bureaucratie habsbourgeoise, avec tous les avantages et privilèges afférents. Ce passé ne s´estompera définitivement qu´en 2016, lorsque le dernier de ces fonctionnaires partira à la retraite. En attendant, c´est ailleurs qu´il faut chercher les économies.

Première mesure douloureuse, la coûteuse tournée prévue aux Etats-Unis en novembre est annulée, et reportée à 2010. La boutique de l´Ã©cole, qui appartenait au Kunst Historisches Museum (KHM), a été reprise en mains, tandis que des biens immobiliers comme la vieille pharmacie de la Hofburg pourraient être revendus. Le nombre de représentations de gala pourrait en outre passer de 38 à 69 par an. «Outre celle du dimanche matin, précise Elisabeth Gürtler, nous pourrions en proposer une seconde le vendredi soir ou le samedi matin.» En outre, le prix des billets, actuellement de 20 à 165 euros par personne selon les catégories, serait revu à la hausse, et l´avoine produit par l´Ã©cole elle-même, afin de tailler dans les dépenses superflues.

«Je suis persuadée que cette institution peut devenir très rentable», assure Elisabeth Gürtler, qui marche sur des Å“ufs. La multiplication annoncée des représentations a provoqué une levée de boucliers en interne. Les cavaliers reprochent à la nouvelle direction de se soucier comme d´une guigne de la santé des chevaux. «Un trop grand nombre de représentations risque de provoquer des blessures» chez les bêtes habituellement choyées, ont déclaré cinq d´entre eux, sous couvert d´anonymat, dans le quotidien viennois Wiener Zeitung. «[Les chevaux] souffrent bien plus lorsqu´ils font des milliers de kilomètres, entassés dans des containers, pour des tournées à l´Ã©tranger», rétorque Elisabeth Gürtler. Avant d´enfoncer le clou: elle dit avoir demandé conseil à Georg Wahl, le légendaire entraîneur d´Ã©quitation autrichien, et Christine Stückelberger, la championne olympique saint-galloise. «Je voulais savoir si les chevaux pouvaient assurer 69 représentations par an. Ils m´ont certifié que oui.» Cela suffira-t-il pour redresser les comptes? Réponse à la fin de la saison.

 

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