Les vétérinaires présents lors des CEI de Compiègne, au coeur de nouveaux scandales, adressent aujourd´hui une lettre ouverte particulièrement forte, un cri d´alarme en quelque sorte et que vous trouverez ici dans son intégralité : "C’est avec beaucoup de fatigue, d’interrogations et d’amertume que nous avons terminé notre travail de vétérinaires lors du dernier week-end d’endurance à Compiègne les 23 et 25 Mai 2014.
Tout semblait pourtant se présenter dans de bonnes conditions, un site et des installations superbes, une organisation ayant fait ses preuves, un très beau groupe de chevaux de haut niveau, un jury et une équipe de vétérinaires aguerris à ces épreuves...
Beaucoup de propos qui nous semblent hâtifs, désordonnés et mal informés ont déjà été exprimés par les uns et les autres sur ces journées de compétition. En tant que vétérinaires officiels, nous devons expliquer nos sentiments sur ces évènements si nous voulons continuer à participer sereinement à l’endurance équestre du 21ème siècle.
Ainsi, nous avons vu une vague déferlante de chevaux lancés à toute allure sur les parcours difficiles mais roulants des deux CEIs. L’inscription tardive de nombreux concurrents avait entrainé un sous effectif de juges, de vétérinaires et surtout de commissaires aguerris que cela soit dans les aires de grooming ou tout le long du parcours. Les équipes juges et vétérinaires ont bien organisé cet afflux pour permettre des jugements justes, mais ceux-ci ont constamment travaillé sous la pression de certains concurrents dont la tricherie et la contestation des jugements est un mode de fonctionnement. Ensuite l’équipe traitante a eu à gérer de trop nombreux chevaux, éliminés pour raison métabolique avec des fréquences cardiaques élevées et des états de déshydratation surprenants compte tenu des conditions climatiques clémentes du week end.
Notre analyse des causes est la suivante : l’endurance pratiquée dans certains pays du groupe 7 n’a plus rien à voir avec l’esprit originel du sport. On ne fait plus « la course du cheval » en restant à l’écoute et en tachant de réaliser la performance maximale que peut donner sa monture, mais une « endurance tout à fond » dont seuls les meilleurs ce jour là supportent cet effort violent. Ce comportement fait que le règlement et le concept de vetgate ne semble plus adapté pour assurer la sécurité des chevaux. La vigilance des vétérinaires du jury a cependant permis d’arrêter à temps ces chevaux fatigués ayant couru à vive allure. Le travail laborieux et attentif des vétérinaires traitants a permis de traiter correctement un nombre important de chevaux au sein de son hôpital.
La majeure partie des chevaux traités ont vite récupéré grâce aussi aux soins attentifs de leur cavalier et de leur équipe d’assistance. Quelques-uns, poussés trop loin sans doute, ont requis des traitements plus longs et intensifs, et parmi eux une jument présentant un syndrome neurologique à son arrivée au vetgate, n’a pu être sauvée malgré des soins précoces très rapprochés.
Malgré la tristesse et la tension qui entoure toujours la mort d’un cheval, ce n’est pas en réaction à cet évènement tragique que nous prenons la plume aujourd’hui. Notre amour et notre respect du cheval, notre goût du sport d’endurance ainsi que notre profonde conviction d’être un des garants majeurs du bien-être du cheval, nous pousse à exprimer notre préoccupation devant certains débordements que nous n’avions pas eu à déplorer de façon significative jusque là dans l’endurance européenne.
Si certains se souviennent que l’endurance avait connu dans ses premières années des accidents et quelques mortalités, sans doute évitables, les très nombreux contrôles vétérinaires effectués aux vetgates et affinés au fil d’études menées par notre profession, ainsi que le suivi attentionné de cavaliers et d’équipes bien informés, ont permis de concourir dans de bonnes conditions de sécurité tout au moins dans le paysage européen de l’endurance équestre.
La responsabilité de la santé et du bien-être des chevaux d’endurance en course ne repose pas que sur le vétérinaire, le juge et le règlement bien que celui-ci soit perfectible dans son contenu et surtout dans son application. Ainsi, il est impossible pour nous de savoir si le cheval a reçu une ration adaptée, s’il a reçu l’entrainement régulier et nécessaire compatible avec le niveau de l’épreuve, s’il s’est abreuvé correctement au vetgate ou au point d’assistance ou s’il a montré des signes de fatigue, de la diarrhée ou d’autres anomalies plus subtiles. C’est toujours le cavalier et son équipe qui doivent connaitre le cheval et être totalement à l’écoute. Dans le cas inverse, on risque de demander trop et d’aller jusqu’au point de rupture. Ainsi, les participants doivent prendre la mesure de leur responsabilité en cas de débordements et en assumer les conséquences.
Le contexte de professionnalisation du métier de cavalier et l’apparition récente de « jockeys » venant monter un cheval dont ils ne maitrisent ni l’entrainement ni la conduite de l’alimentation sans parler des « recettes » plus ou moins avouables de certaine écuries, n’est pas favorable à l’écoute mutuelle indispensable en endurance. Cette pratique de monter un cheval au pied levé, si elle est courante dans les courses de galop est nuisible en endurance. Rien ne remplace l’écoute du cheval même quand on ne le connait pas. La fatigue se sent et force le cavalier à réagir. L ‘équipe d’assistance en guette les signes et doit les reconnaitre quelque soient les chevaux, même si cette détection peut être délicate.
Dans ce contexte, les praticiens et les scientifiques que nous sommes se trouvent également confrontés à une situation qui complique énormément l’évaluation métabolique et locomotrice des chevaux en course : le développement des techniques de dopage permet malheureusement de perturber de façon marquée les indices classiques de fatigue qui nous alertent, tant et si bien que ces pratiques antisportives vont permettre à des chevaux fatigués de se présenter au vetgate avec des examens apparemment bons même pour le vétérinaire le plus aguerri qui doit juger dans un temps minimal sur un petit nombre de critères cliniques.
Les contrôles vétérinaires tels qu’ils ont été conçus à l’origine supposaient une parfaite coopération entre un cavalier / entraineur qui connaissait parfaitement son cheval et un vétérinaire qui apportait un oeil extérieur et scientifique sur l’état de fatigue du cheval. Or nous avons maintenant à faire à certains cavaliers qui ne connaissent pas leurs montures, ne les respectent souvent pas et dont la tricherie, la dissimulation et le mensonge sont un mode de fonctionnement. Dans ces conditions l’endurance dite « moderne » n’assure plus la sécurité des chevaux et nous, vétérinaires de terrain, déplorons cet état de fait et la totale inefficacité ou le manque de volonté réelle de la FEI de régler ce problème.
Ces chevaux sont mis en grave danger par ces pratiques qui constituent une triche inacceptable pour nous jury, comme pour tout participant à ces courses qui les déplore et que cette situation rend cynique sur le sport. Elles vont totalement à l’encontre de l’esprit sportif et doivent être combattues avec pugnacité. Malheureusement, la complexité de la détection de certaines substances et son coût rendent cette prévention difficile. Il ne faut pas pour autant être défaitistes ni surtout laisser le champ libre à ceux qui sont responsables de mettre en danger ces chevaux généreux et exceptionnels, juste pour leur orgueil personnel.
La surveillance à l’entrainement et surtout pendant la course est également très complexe compte tenu de la grande difficulté de trouver suffisamment de juges, formés selon le cursus de la FEI, compétents et faisant preuve d’autorité, incorruptibles et de surcroit bénévoles.
Des témoins extérieurs au monde de l’endurance ( LFPC, AVEF, ….) sont alors souhaitables car ils viennent donner du recul et de l’objectivité à des situations d’abus qui pourront être ainsi mieux contrôlées ou prévenues.
En conclusion, conscients du rôle moteur que les vétérinaires ont pour préserver le bien-être du cheval d’endurance équestre, nous en appelons aussi aux autres acteurs du monde du cheval pour nous aider dans cette tâche : aux cavaliers pour leur vigilance à mener leur cheval dans le respect de l’éthique, aux acteurs de la protection animale pour être les témoins attentifs des compétitions, et aux instances nationales et internationales pour garantir l’application de mesures fortes de prévention des abus, en particulier concernant le dopage.
Nous avons conscience qu’aucun de nous ne peut parvenir seul à sauvegarder le sport d’une défaillance éthique que nous avons pu récemment ressentir, et ce n’est qu’en resserrant nos pratiques, que nous pourrons continuer à pratiquer dans le respect du cheval. Pour nous acteurs européens de ce sport, il faut bien sûr ne pas faire de compromis au sein de notre zone, mais il faut aussi avoir le courage de s’engager clairement dans des zones où la pratique de l’endurance subit des dérives condamnables."
Dr. Vet. Christophe Pelissier, Dr. Vet. Pierre Romantzoff, Dr. Vet. Antoine Seguin, Dr. Jean-Louis Leclerc , Dr. Vet. Agnès Benamou-Smith.
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