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BOUCHERIES CHEVALINES : UN NOUVEAU MALENTENDU
Un récent reportage à la télévision défendait les boucheries chevalines, qui font partie du paysage de ce pays, en particulier du Nord-Pas-de-Calais, depuis la fin du XIXe siècle, en disant que leur présence est indispensable à la survie de nos races de trait.

C"est une erreur d’analyse, qui, involontairement peut-être, rend le téléspectateur complice d’une nouvelle tromperie du consommateur.

Les propos de ce reportage sur une chaîne que nous ne nommerons pas contribuent à perpétuer une erreur répandue : l´on sauverait les neuf races de chevaux de trait françaises en achetant de la viande chevaline chez son boucher. Par là même, ce reportage rend (involontairement peut-être) la chaîne de télévision complice.

Car depuis plus d´une décennie, les français ont cessé de consommer la viande de leurs chevaux de trait... N´importe quel éleveur de « lourds » le dira, ce n´est pas dans les boucheries françaises que 98% de ces animaux terminent leur vie, mais dans les abattoirs espagnols et italiens, en fournissant principalement ces deux pays.

Les éleveurs de chevaux de trait fournissent essentiellement le marché espagnol et italien...

Les trois quarts de la viande de cheval consommée en France sont importés du Canada, du Mexique, de l’Argentine et de la Pologne, dans des conditions d´hygiène et de respect animal discutables. Il n´y a qu´une probabilité infime d´acheter la viande d´un cheval de trait français dans une boucherie française. Des labels régionaux (poulains du Nord, poulain laiton Comtois et cheval Ardennais viande) ont été créés pour promouvoir la consommation locale, sans succès. Les races de chevaux françaises les plus appréciées dans l’assiette sont... le Trotteur et le Pur-sang, provenant de réformes du milieu des courses hippiques.

Des initiatives qui peinent à convaincre les décideurs...

Pour réellement sauver les races de trait françaises, il existe des dizaines d´initiatives en faveur du retour de ces puissants animaux de traction au travail et dans les loisirs, pour les communes, dans les champs ou devant des roulottes. Des initiatives qui peinent encore à convaincre les décideurs, les entreprises et les pouvoirs publics malgré les expériences réussies.

L´affirmation selon laquelle l´hippophagie sauve les chevaux de trait pose un autre problème. Les chevaux de trait élevés pour la boucherie, ceux que l´on nommait jusqu´en 1994 les « lourds », se sont morphologiquement éloignés des chevaux de trait élevés pour la traction. Ils pèsent en moyenne 300 kg de plus que dans les années 1950, et présentent des problèmes physiques dus au surpoids – articulations, aplombs et reins. Ils sont vendus « au poids » au détriment même du personnel des abattoirs qui n´aime pas les carcasses trop lourdes à manipuler. Pourtant, l’éleveur a tout intérêt à rechercher la qualité et le modèle « tractionneur » plutôt que le « lourd » : une demande existe pour des chevaux d’attelage dressés. Le problème étant, justement, leur dressage…

Les éleveurs de « lourds » ne doivent pour la plupart leur survie qu´aux subventions européennes, tant la concurrence internationale est sévère pour eux : la viande importée de Pologne et d´Amérique du Sud coûte beaucoup moins cher aux bouchers français...

Les spécialistes sont unanimes

Les spécialistes sont unanimes pour affirmer que la survie des neuf races de trait françaises « passe – leurs amis le savent bien – par la reprise d’activités traditionnelles (comme le débardage et la voirie urbaine) et la recherche de nouvelles utilisations (jeux et spectacles) » (cf Jean-Pierre Digard, chercheur au CNRS, en 1999).

Pour Marcel Mavré, « le cheval lourd de 1 200 kg est moins prisé, tandis que les chevaux de traction peuvent regarder l´avenir avec sérénité ».

L’ethnologue Bernadette Lizet (dont l’excellent Champ de blé, champ de course a remporté le prix Pégase en 1997) a dénoncé la mondialisation de l’hippophagie dans un article. Les neuf races de trait françaises, d´une richesse et d´une variété uniques au monde, sont proposées depuis 2008 pour être inscrites par l´Unesco au Patrimoine mondial de l’Humanité.

Rétablir la vérité...

Nous avons déjà vu passer durant le JT sur cette chaîne de très beaux reportages consacrés au débardage équin (100 entreprises en France contre... 3000 en Allemagne), aux loisirs en roulotte et aux communes qui adoptent des chevaux de trait pour la voirie et le ramassage scolaire.

Nous ne doutons pas du fait que la chaîne aura à cÅ“ur de rétablir la vérité sur l’approvisionnement des boucheries chevalines : l’image du boucher qui vend la production des petits éleveurs locaux est séduisante. Mieux : les français consomment plus de viande de cheval que le pays n’en produit, le recul de l’hippophagie en France réduit les importations. Et s´il met en péril la survie des boucheries chevalines à l´enseigne bien connue, il ne menace pratiquement pas les éleveurs de chevaux de trait et de « lourds », pour qui les débouchés dépendent essentiellement de l’étranger…

 

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