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SARKOZY OU LA MORT DU PETIT CHEVAL
La légende urbaine raconte que Nicolas Sarkozy, peu de temps après son élection est allé visiter le château de Versailles avec son jeune fils Louis. Devant le portrait de Louis XIV, le gamin lui aurait demandé qui était cet homme à perruque. A quoi le président de la république aurait répondu, toujours selon la légende: «C’est le prédécesseur de papa».

Ce que la légende ne précise pas, c’est si le portrait de Louis XIV était équestre. Il y a toutes les chances que oui. En tout cas, le successeur du roi Soleil n’ignore pas que c’est lui qui a fondé les Haras Nationaux le 17 octobre 1665, chargeant Colbert du gros boulot. La révolution française abolit cette institution royale sur un coup de tête, vendant à l’encan ce qui constituait un patrimoine national qui ne sera jamais tout à fait reconstitué par la suite. Napoléon a beau rétablir les Haras Nationaux (le 31 août 1805), une dizaine d’années d’interruption, en terme d’élevage, c’est cinquante années de retard (sur les autres empires, allemand et anglais).

Et puis le temps ayant raison de beaucoup de choses, en un siècle et quelques guerres, la France finit par retrouver son rang au sommet des nations équestres. Les Haras Nationaux voient leur lustre restauré, leur histoire réhabilitée, et leur mystère grandir, aussi.

- Qu’est-ce que c’est, un haras, pouvait demander l’enfant des écoles républicaines et citadines. Qu’est-ce qu’on en fait des chevaux qui sont là ? On les mange ? A quoi ça sert, alors ? C’est une question qu’on ne devait même pas se poser dans les écoles communales de Neuilly. A rien, aurait répondu l’écho des DS, des Panhards, et Simca 1000. Et pour peu qu’on les emmène en visite scolaire au haras du Pin, le plus éveillé d’entre ces écoliers demandera au directeur:

- Et y en a pour combien, lĂ -dedans ?

On parle d’argent. Qu’avons-nous fait des enfants de cette génération pour les détacher si violemment des choses de la nature ? De la tradition. De notre plus belle conquête, pour que le premier de nos magistrats signe le décret d’abolition d’une institution de 350 ans d’âge, sans que sa main ne tremble, sans que son peuple ne soulève ni un souffle, pas même un soupir de tristesse ?

Ah si : on entend là-bas, du côté de la Saône-et-Loire, un certain député Arnaud Montebourg gémir douloureusement de ce qu’on est en train de faire à son Cluny patrimonial. Et voilà qu’il demande rendez-vous avec le ministre. Au moins ça. En attendant, il déclare :

Comment en est-on arrivé là ?

La faute à cet esprit de droite toujours arc-boutée sur sa passion de la rentabilité, et sur son dogme anti-étatique ? Pas si simple. Il faut rappeler que si les haras existent encore, c’est grâce à vous, MM les parieurs, à vos pères turfistes, à vos grands-pères sportsmen.

En effet, il fut un temps où l’on avait compris le lien consubstantiel entre les courses et les haras: c’était le parieur qui alimentait les caisses de Cluny, du Pin, de Pompadour et de la trentaine de haras dispersés, disséminés sur le territoire. L’institution recevaient directement 0,7% des recettes du PMU. Ainsi, les Haras savaient ce qu’ils devaient aux turfistes, et ces derniers avaient l’intelligence d’en être fiers. Notre vice a des vertus, pouvaient-ils sourire. Le patrimoine, c’est nous, les beaux bâtiments, c’est nous, les chevaux, les parades, les voitures, les attelages, les prairies verdoyantes, encore nous.

Et puis Lionel Jospin est arrivé. L’illuminé. L’air de contenter tout le monde, déplaçant le curseur moral du côté du puritanisme, il décide de supprimer cette taxe prélevée sur les paris, et d’accorder aux haras une subvention de l’état, équivalente en numéraire. Comme s’il fallait couper les liens entre le vice du jeu et la vertu de la préservation du patrimoine. Il n’est pas sûr qu’à l’époque les Haras s’en soient plaint (ils n’ont pas vu le coup venir). Mais au fil des dévaluations, de l’augmentation des paris, et de la hausse des coûts d’exploitation des haras, ce transfert de fonds qui n’était que symbolique (les haras recevant les mêmes sommes qu’avant) est apparu dans toute sa dimension réelle, et cruelle. Un simple calcul: si le PMU avait continué, avec ses 0,7%, à financer les Haras Nationaux, ceux-ci recevraient une fois et demi plus d’argent que ce que lui donne l’état aujourd’hui. Ils n’auraient jamais rencontré les problèmes de financement qu’ils ont aujourd’hui, dépendant qu’ils sont de l’état et de ses subventions à la mode peau de chagrin.

En dix ans, à l’instar de ce qui s’est passé à la Révolution, les Haras nationaux ont réussi l’exploit de ne plus rien représenter sur le plan de l’élevage des chevaux de courses. Ce sont les haras privés qui assurent désormais la plus grande part du travail. Ils le font très bien, car si la France est restée un pays d’élevage qui compte dans le monde, c’est grâce aux entêtés passionnés propriétaires de bonnes terres en Normandie, en Bretagne et ailleurs, c’est grâce à Lagardère, à l’Aga Khan, à Jean-Pierre Dubois, aux Wertheimer et aux Wildenstein. Les Haras nationaux sont devenus des nains économiques. Des handicapés politiques. Quand le ministre de la Défense, Hervé Morin, a vendu son cheval Literato à Mohammed al Maktoum, les Haras nationaux n’ont pas levé le petit doigt. Aucun pouvoir financier, aucun pouvoir politique. La chose est entendue. Irréversible.

Dès lors, que faire des Haras nationaux, de ses bâtiments fabuleux et à moitié vides, de ses activités pas rentables, de son personnel encombrant, de sa réputation de “gouffre financier” savamment entretenue par ses détracteurs et concurrents, que faire de ces beaux domaines, sinécures offertes à certains fonctionnaires amoureux de la campagne et de l’odeur du crottin ? Mais surtout, que faire de ce patrimoine, de cette richesse, de cette grande histoire, de ce savoir faire, de cette présence écologique, sociale, enfin tout, on frissonne à l’idée de voir tout ça disparaître. C’est pourtant bien ce qui a été décidé en haut lieu.

Qui peut arrêter la main de l’état bourreau ? Le peuple ? Celui à qui on fait la morale sur «l’identité nationale», à qui on demande de prendre conscience de son identité ? Et pendant que le bon peuple débat sur Internet, on coupe la tête, ou plutôt les racines de ce que nous avons peut-être de plus ancien, de plus cher, de plus sacré: notre relation à l’animal, à celui qui a façonné notre civilisation: le cheval. L’identité nationale ? Mais regardez la hache qui est dans votre œil, messieurs les proposeurs de débats insanes. Défendez le cheval, et vous verrez les Arabes que vous redoutez tant, et vous verrez les Chinois qui vous font frémir, vous les verrez tous, d’un geste solidaire et bien de chez nous, placer leurs petits sous sur Goldikova avec dans la tête le paysage de sa naissance: la Normandie.

On dira : «Le dossier est complexe». On dira : «C’est cher, ça ne rapporte rien, et la Cour des comptes n’est pas contente». Et le Louvre, ça n’est pas cher ? Et l’identité nationale, ça rapporte combien ? Ce qui est simple à comprendre, c’est qu’on ne laisse pas tomber un trésor qu’on a déjà failli perdre.

Quelle étrange logique: on préfère payer des chômeurs à faire la queue dans les soupes populaires de nos cités que d’entretenir pour le même prix, à la campagne, une tradition qui est sans doute le plus bel exemple écologique, concret et charmant, qu’on puisse donner aux enfants, aux citoyens.

Avant de parler d’addiction au jeu, ou plutôt, tout en parlant d’addiction, pensez à ce que les courses et leurs paris ont sauvé, en terme de patrimoine écologique et de richesse culturelle. Avant d’assainir les finances, pensez à ce que vous allez assécher.

Le décret relatif à l´Institut Français du Cheval et de l´Equitation a été publié dans le Journal Officiel daté du 24 janvier 2010.

Le 1er février les Haras Nationaux ne seront plus.

A qui le tour ?

 

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